Il est à constater que, de nos jours, l’informatique est perçue comme une profession d’hommes en Haïti. Ce n’est vraiment pas par hasard. Les statistiques montrent aussi clairement que cette discipline est à forte domination masculine depuis des décennies. Cependant, ça n’a pas été le cas dans les débuts de l’Informatique, surtout dans le domaine de la programmation. A l’origine, c’était les femmes qui faisaient la pluie et le beau temps dans ce domaine. Retour sur une histoire ancienne méconnue par plus d’un.

Les femmes au cœur des premiers moments de l’Informatique 

Nous sommes dans la seconde moitié du vingtième siècle. C’est encore les premières étapes de l’histoire de l’informatique. Au cours de cette période marquée par d’importantes inventions, comme les premiers ordinateurs, les femmes ont joué un rôle crucial. En effet, dans les années 1940, alors que deux ingénieurs masculins  John Mauchly et J. Presper Eckert  concevaient l’un des premiers ordinateurs entièrement électroniques, appelé ENIAC (Electronic Numerical Integrator And Computer) – ils ont embauché des femmes pour effectuer le codage. L’équipe entière qui devait coder cet ordinateur était composée de femmes.

Il faut comprendre que l’idée de créer l’ENIAC vient dans la tête de ces ingénieurs dans le souci de calculer plus rapidement les trajectoires balistiques pendant la seconde guerre mondiale. En fait, au cours de cette guerre, alors que les hommes combattaient en terre étrangère, des femmes ont été engagées comme « ordinateurs » pour calculer manuellement les trajectoires balistiques. Cela dit, déterminer l’angle auquel les soldats devaient tirer en fonction de la distance de la cible, des conditions météorologiques ce jour-là et d’autres facteurs.

Les ingénieurs Mauchly et Eckert ont estimé que calculer ces trajectoires avant trop de temps, ils ont conçu l’ENIAC pour un calcul plus rapide et ont pris les femmes pour la programmation. Ces femmes ont donc joué les bases d’une nouvelle profession dans le domaine de l’informatique: « La programmation » appelée aussi « Le Codage ».

 «  Les ingénieurs de l’époque ont accepté de bon gré d’octroyer le travail du calcul à la main-d’œuvre féminine, parce qu’ils considèrent que les femmes étaient plus précises et minutieuses, mais aussi parce qu’ils estimaient que les compétences doivent être mieux acceptées si elles n’effectuaient pas de calculs », souligne Rita Bencivenga, docteure en science de l’éducation, chercheuse et auteure de «  Femme et Homme devant l’ordinateur » .

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Les programmeuses de l’ENIAC, le premier ordinateur électronique. CP: Wikimédia

Mais cela ne va pas s’arrêter là. Les femmes ont continué à émerger dans ce secteur. Aux environs de 1951, l’américaine Grace Muray Hopper développe le premier compilateur de programme, appelé A-0, qui fait la traduction du code mathématique en code lisible par la machine. Elle a fait un travail assidu considéré comme un pas important vers la création bientôt des langages informatiques modernes.

« Avant l’invention de Murray Hopper, les programmeurs pour écrire de très longues directives en code binaire (langue de la machine, faite seulement de« 1 »et de« 0 ») pour chaque nouvelle partie de logiciel  », a fait savoir la chercheuse Rita Bencivenga.

Murray Hooper est également à l’origine du langage de la programmation commerciale, le plus utilisé dans le monde, dans les années 1970, le COBOL.

« La programmation était considérée comme un emploi essentiellement féminin. » 

Grace Murray Hopper au clavier UNIVAC, v. 1960.
SI Neg. 83-14878. Date: na. Grace Murray Hopper au clavier UNIVAC, v. 1960. Grace Brewster Murray: mathématicienne américaine et contre-amiral de l’US Navy, pionnière dans le développement de la technologie informatique, aidant à concevoir UNIVAC I. le premier ordinateur électronique commercial, et des applications navales pour COBOL (langage commercial commun). Crédit photo: Inconnu (Smithsonian Institution)

La scientifique Betty Holberton qui a également travaillé dans le développement de l’ENIAC est aussi à l’origine de la soumission du clavier dans le matériel informatique, selon les informations de Madame Bencivenga.

Ces informations montrent clairement que les femmes ont joué un rôle prédominant dans les débuts du développement de l’informatique. Elles sont à l’origine d’une profession phare de ce domaine, à savoir la programmation. D’ailleurs, même à la fin des années 1960, la programmation était toujours considérée comme un emploi essentiellement féminin, selon ce qu’a rapporté l’enseignante à l’université Lumière Lyon, Mme. Bencivenga. Les chiffres ont montré aussi au cours de cette période les femmes représentaient entre 40% et 50% de ce secteur. Alors, qu’est-ce-qui conduit à ce revirement aujourd’hui ? Comment expliquer la disparition continue des femmes dans ces domaines alors qu’elles étaient autrefois les dominantes?

Une histoire manquante ou déformée 

« Le résultat de l’omission « est une histoire déformée du développement technologique qui a rendu la contribution des femmes invisible et promu une vision diminuée des capacités des femmes dans ce domaine. Ces histoires incomplètes soulignent l’idée que la programmation et le codage sont, et ont été, des activités masculines », soutient Jennifer Light, professeur de science, technologie et société au Massachusetts Institute of Technology.

Selon les recherches de ces scientifiques, l’histoire enseignée aujourd’hui est une composante importante à considérer dans l’explication de la régression des femmes dans les domaines de l’informatique.

 «  L’histoire actuellement disponible souscrit à l’histoire standard des racines masculines de l’ordinateur. L’histoire non écrite peut raconter une histoire légèrement différente », ont rapporté Ruth Perry & Lisa Grebber dans « Women and Computers: An Introduction ».

Un changement de la perception du métier 

Dans sa genèse, la programmation était plutôt considérée comme un métier comparatif aux « dactylos ». A l’époque, on pense souvent comme les activités féminines de base comme la couture, la cuisine etc. Pour les hommes de l’époque, la programmation n’avait pas beaucoup d’importance. Même les femmes de l’alors ont marqué à l’émergence de cette perception du métier, en les utilisant parfois pour encourager plus de femmes à se lancer dans le domaine. Dans un article de Cosmopolitan, publié en 1967, Grace Murray Hopper déclare que la programmation était similaire à la planification d’un dîner. Vous devez planifier et programmer tout pour que cela soit prêt quand vous avez besoin … ».

« La programmation nécessite de la patience et la capacité de gérer les détails. Les femmes sont « naturelles » dans la programmation informatique », explique un peu plus loin, l’informaticienne qui a reçu la médaille nationale de technologie, en 1986, pour ses « contributions novatrices dans le développement de Langages de programmation ».

Au fils des ans, cette perception du métier allait finir par disparaître. Surtout lorsque les femmes ont commencé à l’enseigner à l’université. A partir de là, les hommes commencent à s’inscrire massivement dans les cours informatiques.

« Il a fallu des années pour comprendre la complexité du travail du programmeur, pour comprendre également l’interaction entre les logiciels et les matériels. À ce moment-là, l’image du travail a changé, comparé non plus à la préparation des repas, mais plutôt au jeu d’échecs ou aux activités mathématiques, activités rattachées à des stéréotypes masculins, et on a commencé à former des hommes à la programmation », nous enseigne Rita Bencivenga.  A partir de ce moment de plus en plus d’hommes sont formés dans la programmation.

La construction d’un nouvel idéaltype hostile aux filles  

« La régression des femmes dans la discipline informatique commence à partir de la fin des années 1980. »

D’après les informations fournies par la chercheuse Isabelle Collet, auteure de l’ouvrage « Les oubliées du numérique », la régression des femmes dans la discipline informatique commence à partir de la fin des années 1980. Selon elle, l’une des causes de cette régression c’est « le nouvel idéaltype de l’informaticien », le Hacker, qui devient hostile aux filles. Dans un article publié dans la revue carrefour de l’éducation, elle explique qu’à partir du moment que le Hacker devient le nouvel idéaltype de l’informaticien, les filles ont été plus réticentes à l’apprentissage de cette discipline, parce qu’elles trouvaient qu’elle ne leur correspondait pas. Elle n’est pas liée à leurs valeurs. Elles sont donc orientées vers l’apprentissage d’autres disciplines.

«  Le hacker est un homme, jeune mais pas limité. Peu sociable, il ne se passionne que pour la programmation. Souvent décrit comme posé, il est célibataire car, outre son physique, il a bien trop peur des filles pour tenter de les fréquenter. Il se moque de la réussite professionnelle. Sa place de programmeur lui convient parfaitement, du moment qu’on laisse programmer en paix  » explique Isabelle Collet. Selon l’enseignante-chercheuse à l’Université Genève, ce modèle a été surtout partagé au grand public avec la généralisation du micro-ordinateur.

L’introduction des micro-ordinateurs, un facteur important à prendre en compte 

«  Ce sont les garçons qui ont été équipés les premiers, car la programmation (seule activité possible au début avec les ordinateurs) était fortement liée à la logique, elle-même liée aux mathématiques. Dans l’espoir ouvrir un avenir professionnel brillant à leurs garçons, les parents les inscrivaient à des clubs informatiques ou les envoyés dans des camps de vacances informatiques  », a fait savoir la chercheuse Isabelle Collet, à propos de l’utilisation des micro -ordinateurs.

Selon Jhane Margolis, une science américaine, auteure du livre « Unlocking The Clubhouse », citée par Becky Little, dans un article publié sur History, l’instrument de l’ordinateur comme « jouet pour les garçons » dans les années 1980, est un facteur qui a porté plus d’hommes à s’engager dans ce domaine que les femmes.

Il revient donc à dire, selon les informations fournies par ces chercheuses, la façon dont les micros ordinateurs ont été introduits n’est pas sans conséquence dans le phénomène de la diminution flagrante des femmes dans l’informatique au cours des ans.

À force de creuser dans les annales historiques, il est à constater que les femmes ont disparu dans une profession dont elles sont elles même à l’origine. Des chercheurs dans le domaine ont expliqué ce phénomène en misant sur plusieurs facteurs: Déformation de l’histoire de l’informatique, changement de perception du métier, nouvel idéaltype de l’informaticien mais aussi présenter des micro-ordinateurs. En fait, ce sont les explications présentées dans cet article. Il en existe bien d’autres. Les noms de femmes et leurs réalisations ci-dessus mentionnés également ne sont qu’une parcelle parmi celles définies dans les textes historiques. Faudrait-il également souligner qu’il nous faudra bien plus qu’un article pour tenter de rapporter de manière exclusive ce chapitre d’histoire.

Aujourd’hui, alors que la technologie prend un essor ahurissant, les femmes sont toujours en régression dans ce domaine. Selon les statistiques publiées en 2018 par Syntec Numérique les femmes ne sont que 27,5% à occuper des postes numériques. Une des questions qui s’installe dans l’esprit de beaucoup de gens c’est (quand) est-ce qu’il y aura un véritable retour massif des femmes dans ce domaine?

 

 

Shonly Bonel LAGUERRE
#BustekMedia

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