En Haïti, se faire harceler sur internet est devenu monnaie courante depuis quelque temps. Entre intimidation, injures, menaces, insultes, revenge porn, entre autres, les Haïtiens et Haïtiennes sont quotidiennement confrontés au cyberharcèlement sous différentes formes. Quand ce n’est pas sur les réseaux sociaux, c’est par le biais d’applications de messagerie ou sur des forums de discussion en ligne. Adolescent.e.s,  jeunes et moins jeunes touchés par ce phénomène crient au désespoir jour après jour, déplorant leur dignité charcutée de toute pièce. 

Barbara Joseph est une jeune fille qui compte beaucoup d’abonnés sur Instagram. Elle y publie régulièrement des photos afin de mettre en avant sa beauté et ses nouveaux looks. Elle recevait régulièrement des commentaires négatifs sur ses publications, notamment concernant son physique. Mais rien ne lui laissait croire qu’un matin sa vie allait prendre un nouveau virage!

« Je me suis réveillée et j’ai vu que j’avais beaucoup d’appels en absence. Je me suis tout de suite connectée à internet, et c’est là que j’ai vu beaucoup de messages de gens qui me demandaient qu’est-ce qui se passait ? Dans quoi est-ce que je me trouvais ? Je ne savais pas de quoi ils parlaient jusqu’au moment où j’ai reçu une série de photos de nudité de plusieurs filles parmi lesquelles il y avait également la mienne. On disait partout que j’ai envoyé mes nudes à un garçon qui les a publiées sur le réseau parmi celles de plusieurs autres filles », raconte Barbara avec un visage où se dessinent amertume et mélancolie. 

« Mais la vérité c’est que ce n’était qu’un montage. Je ne connaissais même pas le garçon dont on parlait. Le pire c’est que je ne sais toujours pas qui a monté tout ça », se lamente Barbara. C’est bien ce qu’on appelle Cyberharcèlement. Et c’est un phénomène qui s’installe désormais dans le train train des Haïtiens depuis quelque temps. 

Quelques mois après cette histoire, alors que Barbara croyait que tout était terminé, elle est de nouveau victime d’une attaque de cyberharcèlement. En effet, tout allait bien pour elle jusqu’à ce que sa mère l’appelle dans sa chambre, l’entretenant sur une publication qu’elle a vue sur les réseaux sociaux. 

« Alors que ma mère circulait sur Facebook, elle est tombée à brûle-pourpoint sur une affiche contenant une photo que j’ai faite avec d’autres filles. Il y était écrit “Femme de Carrefour, nous sommes disponibles pour les orgies. Appelez-nous sur ce numéro…” », raconte tristement Barbara Joseph. La nouvelle a énormément choqué la jeune fille puisqu’elle ne comprenait rien et ne savait même pas quoi répondre à sa mère inquiète et profondément traumatisée. « Je ne connaissais pas la page qui a publié la photo ni n’avais aucune idée de la personne derrière tout ça ». 

Comme Barbara Joseph, beaucoup de jeunes sont victimes de cyberharcèlement ces derniers temps en Haïti. Si l’internet est un outil facilitant l’interconnexion des gens aux quatre coins du globe, il est également utilisé comme moyen pour harceler à longueur de journée. Le cyberharcèlement, très fréquent aujourd’hui, est une forme de harcèlement qui se produit sur des appareils numériques comme les téléphones cellulaires, les ordinateurs et les tablettes. Il peut se produire via SMS ou en ligne sur les réseaux sociaux, les forums de discussion ou les jeux en ligne à travers lesquels les gens peuvent voir, participer ou partager du contenu. Il consiste, en effet, au fait d’envoyer, de publier ou de partager des contenus faux, négatifs, malveillants et nuisibles à propos d’une personne en vue de l’intimider, l’injurier, l’insulter, le menacer ou autres. Selon le site officiel du gouvernement des États-Unis dédié à combattre le cyberharcèlement, « il comprend également le partage d’informations personnelles ou privées sur quelqu’un d’autre causant de l’embarras ou de l’humiliation »

En fait, des recherches ont rapporté que  la moitié de tous les jeunes adultes ont été victimes de cyberharcèlement sous une forme ou une autre. 10 à 20 % supplémentaires ont déclaré en avoir fait l’expérience régulièrement. Et selon un sondage réalisé auprès des jeunes Haïtiens par le Plan International Haïti, l’UNICEF et l’UNFPA, 29% des personnes interrogées avouent avoir été victimes du cyberharcèlement. La violence sur internet est bel et bien réelle. Mais c’est souvent difficile pour les victimes d’en parler. 

Dans le cas de Barbara, cette forme de cyberharcèlement se fait appeler le dénigrement : c’est la propagation de rumeurs visant à ruiner la réputation d’une personne; il consiste en intimidations, insultes, moqueries, menaces et incitations à la haine; il peut aussi consister en l’usurpation d’identité et le piratage de compte.

Si les nudes publiées étaient réellement de Barbara, l’on parlerait de revenge porn, c’est-à-dire la diffusion d’images à caractère sexuel sans le consentement de la personne qui est présentée. C’est une forme de cyberharcèlement très répandue en Haïti ces derniers temps.

À 17 ans, la beauté et l’attirance de  Stéphanie n’avaient d’égal que sa naïveté sur les réseaux sociaux. Elle les utilisait régulièrement, notamment Facebook sur lequel elle a rencontré un homme dont elle finit par tomber amoureuse. Pour pimenter la relation, comme bon nombre de liaisons à distance, Stéphanie avait l’habitude de lui envoyer des nudes sur demande. Mais jamais d’appel vidéo, car le monsieur avait toujours une très bonne excuse dès que Stéphanie évoquait cette envie. Tout allait basculer lorsque Stéphanie a laissé faufiler ses doutes au grand jour. 

« Quand j’ai fini par comprendre qu’elle n’était peut-être pas la personne que j’ai l’habitude de voir sur dans les photos, j’ai décidé de mettre fin à la relation. Mais il m’a dit que si je ne continuais pas, il allait publier mes nudes sur la toile », raconte Stéphanie, d’une voix rauque et froide.   

« J’ai paniqué, je ne savais pas quoi faire. Il m’a non seulement obligé à lui envoyer de nouvelles nudes, mais il m’a également obligé à rester dans la relation avec lui. Il a menacé de publier mes nudes sur les sites de pornographies ainsi que les réseaux sociaux. De plus, j’ai commis l’erreur de lui avoir envoyé des vidéos laissant apparaître mon visage », poursuit la jeune fille qui affirme avoir été tellement prise entre l’enclume et le marteau, qu’elle n’a rien fait. « J’avais peur, j’ai pleuré, j’étais inquiète de ce qu’allaient penser ma mère, ma famille et mes amis », confie Stéphanie. Pensant qu’envoyer de nouvelles photos va encore empirer la situation, « j’ai décidé de le bloquer et de disparaître de Facebook. À nos jours, je ne sais pas si mes nudes ont été publiées ou pas », raconte la jeune fille avec une voix résignante. Jusqu’à aujourd’hui, Stéphanie vit avec l’idée que ses nudes soient peut-être à la drive quelque part sur internet, publiées par un vulgaire inconnu. 

L’anonymat : outil de sécurité de l’agresseur 

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Les actes de cyberharcèlement sont souvent effectués par des personnes cachant leur identité. Le message est souvent envoyé anonymement, ce qui procure une sécurité à l’agresseur. Crédit Photo : freepik.

Les actes de cyberharcèlement sont souvent effectués par des personnes cachant leur identité. Cet anonymat procuré à l’agresseur par les technologies de l’information et de la communication lui donne de l’assurance que rien ne peut lui arriver puisque la victime ne pourra pas l’identifier. 

Kara a été ajouté à un groupe whatsapp par un de ses ami.e.s. Mais le groupe ne lui a pas plu, elle l’a laissé. Un des membres du groupe l’a écrit en privé pour lui parler. Pas au sujet du groupe. Il a commencé à lui faire des propositions qu’elle ne voulait pas accepter. Du coup, la conversation a pris une autre tournure. « Je crois qu’il a commencé à s’énerver lorsqu’il m’a demandé ma photo et que j’ai refusé en lui disant que je ne le connaissais pas », raconte-t-elle en soulignant que l’homme a commencé à faire des commentaires sur sa beauté et lui lance des propos qui lui faisait vraiment peur. « Il m’a menacé et m’a dit qu’il est quelqu’un de haut placé qui a beaucoup d’argent, comme quoi pour me faire comprendre que je ne peux pas me permettre de ne pas céder à ses désirs. Il m’a dit une dernière chose qui m’a fait tellement peur que j’ai décidé de rendre privés tous mes profils sur les réseaux sociaux  », confie Kara qui n’a jamais connu l’identité de cette personne jusqu’à aujourd’hui. 

Le cyberharcèlement anonyme peut plonger la victime dans une crise d’insécurité aiguë et l’animer d’un sentiment d’impuissance extrême. « Quand ça m’est arrivé, j’ai même eu l’envie de tuer la personne qui m’a fait ça. Elle m’a vraiment fait du mal. Je l’ai beaucoup cherché mais je ne pouvais même pas trouvé son identité », confie Barbara, la voix animée d’une froideur profonde. 

Cependant, à en croire les professionnels de la technologie, cet anonymat n’est pas invincible. « Si une personne a la connaissance qu’il faut ainsi que les matériels et les applications, elle peut arriver à remonter à la personne normalement », soutient Sandy Clervil, spécialiste en technologie et fondateur de la compagnie de prestation de services technologiques The Request. 

« Quel que soit le matériel informatique, il a besoin de deux éléments pour s’identifier sur le net : un mac adresse et un adresse IP.  Alors si on a une entité légale qui peut fournir ces informations sur une personne qui a commis un acte de cyberharcèlement de manière anonyme, on peut arriver à retracer cette personne et découvrir son identité  », explique le professionnel de la technologie. 

Du zen ! Du Zen ! Encore du zen ! 

Sur les réseaux sociaux, lorsqu’un cas de cyberharcèlement est repéré, les internautes appellent ça du “zen”. Cela étant, on en parle partout sur le réseau. L’information se répand comme une traînée de poudre. Et très souvent le “zen” traverse le réseau sur lequel il a été déclenché pour s’installer sur d’autres réseaux. La victime se trouve alors au centre des attentions. Les gens aiment, commentent et partagent à profusion. Alors que la victime, derrière son écran, s’enfonce au plus profond de l’abîme à chaque like, chaque commentaire et chaque partage. 

« Voir ces commentaires négatifs peut vous donner envie de vous suicider. Ce qui m’a affecté le plus, c’est de voir des gens que je considère comme des amis partager les images. Tu ne peux pas comprendre ce que je ressens si t’as pas vécu ça », raconte Barbara, avec une voix triste, la tête légèrement penchée vers le bas et les yeux rivés sur le sol. 

Plus l’affaire est virale sur les réseaux sociaux, plus elle prend de l’ampleur et plus les répercussions sont majeures pour la victime. D’ailleurs, la viralité de l’affaire de Barbara a eu des répercussions même sur son parcours scolaire. 

« En raison de ce qui s’est passé, l’école où j’étais m’a foutue dehors, quoique j’ai été couronnée Miss de l’école pour l’année », raconte Barbara qui a décroché une bourse pour terminer ses études à l’école en remportant la couronne de Miss. À  l’époque, elle était en classe de Nouveau Secondaire II (seconde). 

Traumatisé.e.s, les victimes sont rongé.e.s par la peur

« Ce qui s’est passé m’a vraiment fait du mal. J’avais honte de ma famille et de mes amies. Je me sentais gênée à la maison. J’ai passé plusieurs mois chez moi sans sortir. J’ai pleuré presque tous les soirs », confie Barbara. Rongée par la peur, la tristesse et le désespoir, «  j’ai enlevé toutes mes publications sur Instagram et j’ai désinstallé Whatsapp sur mon portable. Ça m’a pris du temps pour retourner sur les réseaux sociaux », livre-t-elle.

« Je vis encore avec la peur depuis que j’ai vécu ça. J’ai mis mon compte Instagram privé et je n’utilise pas Facebook », avoue Kara.

« Je n’utilise pas Instagram, Facebook non plus. J’ai un compte Facebook vraiment mais c’est uniquement pour parler avec ma sœur à l’étranger sur messenger », confie Stéphanie qui avoue avoir développé une sorte de peur depuis qu’elle a été victime de cyberharcèlement. 

Effectivement, le cyberharcèlement peut avoir des conséquences psychologiques considérables sur la victime. 

« Sur le plan de la santé mentale, les conséquences sont profondes. La victime de cyberharcèlement peut avoir des problèmes de dépression et d’anxiété. Il peut y avoir un retrait social, une perte d’énergie, un manque d’intérêt pour les activités professionnelles, les activités de loisirs et un rejet du numérique. Il peut même y avoir des tentatives de suicide », a fait savoir le docteur en psychologie clinique et en psychopathologie, Jeff Matherson CADICHON, lors d’un interview accordé à BUSTEK MEDIA.

« Puisque la personne estime qu’elle est sans valeur dans la tête du harceleur, sans importance, sans nécessité d’exister, la victime peut retourner cette violence contre elle-même. »

« Il peut aussi y avoir des symptômes physiques: augmentation du rythme cardiaque, tremblements, on a peur que le pire arrive. On peut aussi ressentir des palpitations. Parfois, on peut même ressentir des picotements alors qu’on est très propre », affirme le professeur à l’Université d’État d’Haïti. « Étant donné qu’il y a la présence d’une faible estime de soi chez la personne, on peut aussi observer des actes d’automutilation. Puisque la personne estime qu’elle est sans valeur dans la tête du harceleur, sans importance, sans nécessité d’exister, la victime peut retourner cette violence contre elle-même. Et c’est grave », soutient Dr. Cadichon.

La douleur psychologique est parfois pire que la douleur physique

Neïka Isabelle Alphonse est une jeune fille dotée d’une panoplie d’acnés sur son corps, en particulier sur son visage. A cause de ses acnés, elle se fait souvent harceler sur les réseaux sociaux,  particulièrement Instagram, quand elle publie une photo d’elle sans maquillage.  

Neïka Isabelle Alphonse dans une prise de vue sans maquillage avec son visage remplie d'acné.
Neïka Isabelle Alphonse dans une prise de vue sans maquillage. CP : Isabelle.

« J’ai l’habitude de recevoir souvent des commentaires du genre : beurk !  tu es moche ! visage de maïs moulu ! visage de corossol ! », raconte Isabelle. Pour elle, c’est le prolongement de ce qu’elle avait déjà l’habitude de subir à l’école pendant plusieurs années.  « Et ça m’a vraiment fait mal. Ça m’a vraiment causé des dommages à l’intérieur », poursuit-elle. 

« Quand une personne vous attaque sur des choses que tu n’as pas décidé d’avoir, c’est encore pire qu’une menace physique ».

« Quand une personne vous attaque sur des choses que tu n’as pas décidé d’avoir, c’est encore pire qu’une menace physique. La douleur psychologique est parfois pire que la douleur physique », lâche Isabelle qui dit avoir pris beaucoup de temps avant d’accepter finalement sa personne et continuer à publier ses acnés sur les réseaux sociaux. 

Cyberharcèlement : une atteinte aux droits humains 

Plusieurs organismes des Nations unies ont lancé des appels pour combattre ce phénomène qui a des conséquences majeures sur les droits humains. D’après l’organisation Amnesty International, ce phénomène touche plusieurs droits fondamentaux tels  le droit au respect de la dignité humaine, à la vie privée ou le droit à la liberté d’expression ainsi qu’à des droits spécifiques à la sphère électronique.

« Le harcèlement n’est pas un phénomène traité par la législation haïtienne. »

Dans certains pays, le cyberharcèlement est puni par la loi. En France, par exemple, il s’agit d’un délit qui est sanctionné par des peines d’amende et/ou de prison. Et les sanctions sont plus graves si la victime a moins de 15 ans. Mais « le harcèlement n’est pas un phénomène traité par la législation haïtienne », selon ce qu’à fait savoir Maître Samuel Madistin, avocat au barreau de Port-au-Prince et militant pour les droits de l’Homme. « Or il y a une obligation aujourd’hui de punir les différents types de harcèlement comme le harcèlement moral, professionnel, scolaire, sexuel, de rue ou le cyberharcèlement », poursuit l’homme de droit, lors d’un interview accordé à BUSTEK MEDIA. 

« La loi qui règle la question de la communication en Haïti date de 1977. Elle ne prend pas en compte les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). »

« La loi qui règle la question de la communication en Haïti date de 1977. Elle ne prend pas en compte les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). Ce qui fait qu’il y a un autre vide juridique à combler en matière de lutte contre la cybercriminalité en général et le cyberharcèlement en particulier », soutient Maître Madistin. 

Bien que la législation haïtienne soit muette concernant ce phénomène, Me. Madistin informe avoir  déjà intenté avec succès une action en diffamation pour une cliente qui a été victime de cyberharcèlement. « J’ai pu obtenir une condamnation à une peine privative de liberté pour les harcelées et l’application du droit à l’oubli numérique en faveur de ma cliente », déclare Me. Madistin. 

« La difficulté réside dans le fait qu’il faut associer le talent et l’audace de l’avocat pour ramener les faits à des infractions reconnues par notre code pénal franchement dépassé par les nouvelles menaces auxquelles la société est exposée, l’intelligence et le caractère progressiste du magistrat saisi du dossier et enfin la compétence de techniciens maîtrisant parfaitement la technologie. C’est donc beaucoup demandé ! », avance l’avocat de carrière.  

« Nul ne peut être l’objet d’ingérences arbitraires ou abusives dans sa vie privée, dans la vie de sa famille, dans son domicile ou sa correspondance, ni d’attaques illégales à son honneur et à sa réputation. »

Selon lui, « le code pénal publié par décret par l’ancien président Jovenel Moise avait prévu de sanctionner le harcèlement moral et le harcèlement sexuel, à ne pas confondre. Ce code n’est toujours pas en vigueur et fait l’objet de contestations sociales ». De plus, il n’a jamais pris en considération le cyberharcèlement. 

Cependant, Haïti fait partie des pays qui ont signé et ratifié la Convention Américaine relative aux droits de l’homme, adoptée à San José, Costa Rica, le 22 novembre 1969, à la conférence spécialisée interaméricaine sur les droits de l’Homme. Et l’article 11 de cette convention dispose que « toute personne a droit au respect de son honneur et à la reconnaissance de sa dignité. Nul ne peut être l’objet d’ingérences arbitraires ou abusives dans sa vie privée, dans la vie de sa famille, dans son domicile ou sa correspondance, ni d’attaques illégales à son honneur et à sa réputation ». En vertu de cette convention, une victime de ce phénomène pourrait avoir recours à la justice même lorsque la législation haïtienne n’a pas encore pris en considération le phénomène. Bien entendu, maintenant il faudrait avoir recours aux instruments internationaux de défense des droits de l’Homme. 

Pour une meilleure lutte contre ce phénomène en Haïti, l’idéal serait d’avoir une législation qui aborde dûment la question. À cet effet, l’homme de Droit, Samuel Madistin, croit qu’une legislation sur ce phénomène devrait prendre en consideration «  l’usager responsable du numérique,  des  sanctions exemplaires pour les abus, le respect du droit au respect de la vie privée, du droit d’image, la sanction du cyberharcèlement, de la pornographie enfantine, de la pédophilie, la surveillance électronique par la police scientifique, mais sous le contrôle de magistrats de l’ordre judiciaire ». 

Le spécialiste en technologie, Sandy Clervil, croit pour sa part qu’à travers la législation « il faut que l’État prévoit d’abord de mettre à la disposition de la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ) les matériels nécessaires pour retracer et stopper les agresseurs, surtout ceux qui sont anonymes. Ensuite il faut prendre des sanctions allant jusqu’au bannissement de l’agresseur des réseaux sociaux et il faut lui faire payer de grosses sommes d’amende ».

Selon le Dr Cadichon, la souffrance de la victime va vraiment au-delà de ce qui est observable. « Donc une loi devrait prendre en considération l’accompagnement de la victime à ce niveau. Elle devrait envisager aussi la destruction de ces clichés dans l’espace numérique. Elle pourrait également envisager des arrêts de travail pour une victime sur la foi d’un certificat médical émis par un psychologue ».

Nous avons contacté des législateurs haïtiens dans le cadre de ce travail. Mais ils n’ont pas voulu répondre à nos questions. Une mise à jour de l’article sera faite s’ils parviennent à nous répondre.

Comment réagir ? 

Une personne victime de cyberharcèlement peut souvent se sentir seule, impuissante, sans défense.
Une personne victime de cyberharcèlement peut souvent se sentir seule, impuissante, sans défense.

Entre la peur qui habite la victime au plus profond de son âme, le sentiment d’impuissance qui la domine et la honte qui l’assouvit, réagir n’est pas toujours pour elle une évidence. 

En réalité, « je n’ai rien fait pour que ça n’arrive plus. Parce que je ne crois pas qu’il y’ait quelque chose que je puisse faire », avoue Barbara désespérément.  

Effectivement, une personne victime de cyberharcèlement peut souvent se sentir seule, impuissante, sans défense.

Par ailleurs, d’après les experts, il existe des actions que peut entreprendre une victime de cyberharcèlement ainsi que les autres citoyens pour lutter contre ce phénomène.

Selon le professionnel en technologie Sandy Clervil, « la victime peut signaler le compte de la personne qui a commis l’acte de cyberharcèlement ou le contenu en question et faire une publication pour informer les gens qu’elle a été victime et les inviter à ne pas partager le contenu ». Aussi croit-il « qu’on doit sensibiliser les gens sur le phénomène afin qu’ils puissent savoir comment l’identifier et aider à traquer les personnes qui font subir ça aux autres »

« Malheureusement, les victimes ne peuvent pas porter plainte en Haïti puisque nous n’avons pas de cadre légal sur la question », déplore-t-il. Néanmoins, « les applications qu’on utilise disposent de règlements pour assurer le respect de tous les utilisateurs sur leur plateforme. Et ils se réservent le droit de bannir et de traduire en justice les utilisateurs qui fonctionnent à l’encontre de ces principes. Alors, je pense que nous pouvons exploiter ces règles pour poser des actions même si nous n’avons pas de législation sur ce phénomène en Haïti », argue Sandy Clervil.  

« toutes les réactions doivent être acceptées. »

Par ailleurs, selon le docteur en psychologie clinique et en psychopathologie, Jeff M. Cadichon, « On ne peut pas dire à la victime comment réagir ».  En effet, « quand on est victime de ce genre d’agression qui porte atteinte à toute notre intégrité psychique, les conséquences peuvent être néfastes, alors on ne peut pas s’ériger en donneur de leçons pour dire à la personne comment elle doit réagir. Bien qu’on aurait aimé dire à la victime de ne pas accepter la situation, de mettre l’agresseur à sa place, de porter plainte et de demander du soutien. On ne peut qu’espérer ces genres de réaction. Mais toutes les réactions doivent être acceptées », soutient l’auteur de l’ouvrage Narration du Sensible.

« Ce qui compte avant tout, c’est d’être là pour la personne. Elle a besoin de soutien dans de telles circonstances. Il ne faut pas la juger. L’acceptation de la personne est inconditionnelle », allègue le Dr. Cadichon.

Ni la victime ni l’agresseur n’ont pas la formule magique pour arrêter définitivement la diffusion du contenu sur la toile. Dès qu’il est déjà publié, le contenu devient incontrôlable. 

Le propre du cyberharcèlement est le fait qu’il peut créer une e-reputation (réputation en ligne) négative pour la victime. Par conséquent, cela peut avoir un impact considérable sur la vie de la personne, notamment en ce qui a trait à son admission à l’université, à sa recherche d’emploi et dans bien d’autres domaines de sa vie. Cela revient au fait que la plupart des informations communiquées par voie électronique sont permanentes et publiques, surtout si elles ne sont pas signalées et supprimées. Ceci constitue entre autres un aspect unique au cyberharcèlement. Et c’est en quelque sorte une préoccupation majeure concernant ce phénomène. Car contrairement à un acte de harcèlement classique, effectué à l’école par exemple, qui peut s’arrêter si la victime fait la paix avec l’agresseur, le cyberharcèlement semble être inarrêtable pour la victime. Puisque, ni la victime ni l’agresseur n’ont pas la formule magique pour arrêter définitivement la diffusion du contenu sur la toile. Dès qu’il est déjà publié, le contenu devient incontrôlable. 

Même si tout peut sembler apparemment terminer, « le problème c’est qu’à tout moment cela peut remonter à la surface. Jusqu’à présent des gens m’envoient parfois ces mêmes photos et vidéos à brûle-pourpoint pour me harceler. C’est comme si ma vie était hantée avec ça », déplore Barbara.   

 

 

*Barbara, Stéphanie et Kara sont des noms d’emprunt. Neika Isabelle est la seule personne victime de cyberharcèlement qui a accepté de dévoiler son vrai nom dans l’article. 

 

 

Reportage : Shonly Bonel LAGUERRE 
Photos et Vidéos, sauf mention contraire : Cébastien PETIT

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